Dans mon billet précédent, nous avons vu que les Anciens de l’Antiquité croyaient presque tous que la Terre est au centre du monde (géocentrisme). Durant tout le Moyen Âge, le modèle géocentrique de Ptolémée était la référence. Or, les astronomes de l’époque constatent déjà que les résultats de ce modèle ne concordent pas tout à fait avec les mouvements observés. C’est surtout valable pour la planète Mars, pour laquelle les différences sont les plus élevées : de l’ordre de plusieurs degrés !
Pour trouver une meilleure théorie du mouvement des astres, il a fallu abandonner les concepts de la centralité de la Terre et de la circularité des orbites. Au 17e siècle, Johannes Kepler a pu apporter, grâce à l’étude du mouvement de Mars, une confirmation supplémentaire à l’héliocentrisme. Nous allons le découvrir ici.
La révolution héliocentrique de Copernic
Durant la Renaissance, de plus en plus de savants commencent à douter du géocentrisme. Mais le premier à proposer un système alternatif est le chanoine Nicolas Copernic. Pendant son séjour en Italie, Copernic s’est initié à l’astronomie chez Domenico Maria Novara, un des premiers à remettre en cause le modèle de Ptolémée. De retour chez lui, il continue ses recherches et conclut qu’il est nécessaire d’abandonner le géocentrisme. Il propose dans son ultime ouvrage, De revolutionibus Orbium Coelestium (Des révolutions des sphères célestes), un modèle avec le Soleil au centre (héliocentrisme).
Ses raisons contre le modèle géocentrique sont les suivantes :
- Les modèles de Ptolémée et de ses prédécesseurs ont plein d’aménagements artificiels (épicycles…), ce qui les rendent inutilement compliqués;
- Ces mêmes modèles sont incapables de décrire avec précision certains phénomènes, tels que les mouvements du Soleil et de la Lune;
- L’équant du modèle de Ptolémée viole le principe des mouvements circulaires parfaits. En effet, pour Copernic, le mouvement de tous les astres doivent décrire des cercles parfaits.
Or, les orbites des planètes ne sont pas parfaitement circulaires, comme nous le verrons plus loin dans ce billet. À cause de ce fait, Copernic a dû réintroduire des petits épicycles et des équants dans son modèle . Sans eux, il ne pouvait expliquer les variations de vitesse des astres autour du Soleil. (Il y a toutefois moins d’épicycles et d’équants que dans le modèle Ptolémée). Malgré ces petites failles, le modèle de Copernic a saisi l’essentiel du mouvement des astres. Ses successeurs vont en décrire les détails.
La tâche de Kepler : l’étude du mouvement de Mars
Johannes Kepler, mathématicien et astronome, vivait dans le Saint-Empire Germanique entre le 16e et le 17e siècle. À cette époque, les guerres de religion entre protestants et catholiques font rage. Étant protestant et adhérant aux idées coperniciennes, il a été chassé de Graz (Autriche) et s’est réfugié à Prague (Bohème, actuellement République Tchèque). Là, il devient l’assistant de l’astronome Tycho Brahe. Ce dernier lui assigne la tâche suivante : la théorie du mouvement de Mars.
Contrairement à Kepler, Tycho Brahe adhère fermement au géocentrisme. Son modèle est cependant différent de celui de Ptolémée : le Soleil tourne autour de la Terre mais toutes les autres planètes tournent autour du Soleil.
Malgré leurs points de vue différents, la rencontre de ces deux savants a été une occasion inouïe pour le progrès de la science. En effet, Tycho Brahé est surtout un observateur hors-pair. Les catalogues de mouvement de planètes qu’il possède sont parmi les plus précises de cette époque. Kepler, qui a une mauvaise vue, a alors l’opportunité d’étudier le mouvement des astres avec précision. Néanmoins, Tycho Brahe n’a donné à Kepler qu’un accès limité à ses données. Ce n’est que après sa mort subite, en 1601, que Kepler, succédant à Tycho, a pu travailler librement sur le mouvement de Mars.
Le mouvement des planètes influencé par le Soleil
Cette étude s’est révélée plus complexe que prévu. Kepler a dû s’attarder pendant 6 ans avant de publier ses premiers résultats. Comme la majorité des savants de l’époque, il a supposé au début que les orbites des planètes sont circulaires. Or, le modèle qu’il a créé en se basant sur ce présupposé ne correspond pas tout à fait aux observations de Tycho Brahe. Kepler, qui avait une confiance suprême dans les observations de son prédécesseur, rejette alors ce premier modèle.
Il change alors son approche et se base sur l’hypothèse suivante : le mouvement des planètes est influencé par une force émanant du Soleil. Par conséquent, la vitesse des planètes est d’autant plus élevée qu’elles sont proches du Soleil. Plus précisément, Kepler a montré que la ligne qui relie la planète au Soleil balaie des aires égales en des temps égaux. Ce concept sera plus connu comme étant la Loi des aires, la seconde des Trois Lois de Kepler.
Les Trois lois de Kepler
Grâce à cette découverte, les calculs ont été simplifiées. Kepler abandonne ses idées reçues quant à la forme des orbites des planètes. En s’aidant des observations de Tycho, il calcule la distance Mars-Soleil en fonction de la distance Terre-Soleil. De ces calculs, il déduit que l’orbite de Mars serait une sorte d’ovale, une ellipse au lieu d’un cercle.
Mais il lui a fallu six ans avant qu’il puisse déduire sa forme précise : l’orbite de Mars est une ellipse, et le Soleil se trouve dans un de ses deux foyers. Kepler déduit que la forme de l’orbite des autres planètes est la même que cette de l’orbite de Mars. C’est la Première Loi de Kepler.
Quelques années plus tard, en 1619, Kepler déduit sa Troisième Loi, appelée Loi Harmonique : le carré de la période de révolution de la planète autour du Soleil est proportionnel au cube de sa distance moyenne par rapport au Soleil.
Le mystère du mouvement de Mars résolu
Les Trois Lois de Kepler décrivent l’essentiel du mouvement des planètes autour de leur étoile. Plus tard, le physicien Isaac Newton a conçu une théorie, la gravitation universelle, qui explique la cause du mouvement des planètes. Selon cette théorie, chaque planète perturbe les mouvements de toutes les autres. Pour connaître leurs mouvements avec précision, les calculs, très compliquées, font objet d’un domaine scientifique particulier : la mécanique céleste.
Grâce à la physique de Newton, les derniers arguments en faveur du géocentrisme ont été ébranlés. En 1750, l’Église a enfin abandonné l’hypothèse d’une Terre au centre du monde.
Il faut dire que Kepler a été chanceux. S’il avait étudié l’orbite d’une autre planète que Mars, il n’aurait jamais fait cette découverte. En effet, mis à part Mercure, difficile à observer vu sa proximité au Soleil, Mars est la planète qui a l’orbite le plus elliptique du système solaire. Avec une autre planète, vu les moyens d’observation de l’époque, Kepler n’aurait pas pu déduire ses Trois Lois. Comme quoi les grandes découvertes, sont souvent le fruit de coïncidences.
Référence
William Sheehan, The Planet Mars: A History of Observation and Discovery. – Chapter 1 Motions of Mars, The University of Arizona Press, The Arizona Board of Regents, 1996.
Dossier spécial Mars
- Les noms de Mars
- Le mouvement de Mars étudié par les Anciens Grecs
- Le mouvement de mars au cœur de la révolution héliocentrique