Des auteurs de science-fiction les ont imaginées, et des astronomes les ont découvertes : les planètes à deux soleils existent!
Mais peut-il y avoir de la vie? On ne connaît pas de formes vivantes extraterrestres. Mais on peut évaluer le potentiel d’une planète à accueillir de la vie, c’est-à-dire son habitabilité. Une planète habitable doit au moins avoir l’eau liquide et une source continue d’énergie, comme celle de l’étoile (des étoiles) de son système. Tout cela doit être maintenu assez longtemps pour que des êtres vivants aient le temps de se former.
Peut-il y avoir des planètes à deux soleils habitables? La réponse : oui, c’est possible, mais sous certaines conditions.
Les étoiles binaires et leurs planètes
Avant d’énumérer et d’examiner ces conditions, penchons nous sur les particularités de ces planètes et de leurs deux soleils, les étoiles binaires.
Une étoile binaire, ou système binaire, est tout simplement deux étoiles qui tournent l’une autour de l’autre. Et ce n’est pas une rareté : entre un tiers et la moitié des étoiles dans le ciel ont une ou plusieurs compagnes autour desquelles elles orbitent.
Une planète dans une étoile binaire évolue selon deux types d’orbites (voir la figure ci-dessous) :
- Des orbites de type P (P pour planète) : la planète tourne autour des deux étoiles en même temps. Ces étoiles sont très proches l’une de l’autre. Les planètes de type P sont aussi appelés planètes circumbinaires.
- Des orbites de type S (S pour satellite): la planète ne tourne qu’autour d’une seule des deux étoiles. Ces étoiles sont très éloignées l’une de l’autre. Les planètes de type S sont aussi appelées planètes circumstellaires.
Ceux qui connaissent la saga Star Wars pensent sans doute à Tatooine, imaginée par George Lucas, comme exemple de planète de type P. Cette planète fictive est tellement connue du public qu’on a surnommé Kepler 16b, la première exoplanète de type P découverte1, « Tatooine ». D’autres planètes de type P ont aussi été détectées2 grâce au télescope Kepler.
Les planètes de type S sont les premières découvertes par astronomes. Actuellement, plus de 50 exoplanètes de ce type ont été répertoriées3. La première détectée est Gamma Cephei Ab, dont la découverte a été confirmée en 20034. Dans la science-fiction, Helliconia, de la trilogie éponyme de Brian Aldiss, est un exemple de planète de type S.
Ces découvertes confirment l’existence des planètes à deux soleils. Mais, pour qu’une planète dans un système d’étoile binaire soit habitable, il faut qu’elle remplisse au moins deux conditions :
- L’orbite de la planète doit être stable. En effet, rien ne garantit que ces planètes resteraient sur ou de dévient pas trop de la même orbite. L’environnement autour d’une étoile binaire est très chaotique. Une planète au mauvais endroit sera perturbée par les deux étoiles et son orbite deviendra instable. La planète peut alors migrer vers une orbite plus proche ou plus éloignée, s’écraser sur l’une des deux étoiles, voire être éjectée du système.
- L’orbite de la planète doit se situer dans la zone habitable du système. Dans cette région autour des deux étoiles, la planète reçoit assez de chaleur pour avoir de l’eau liquide, et donc être propice au développement de la vie.
Examinons chacune des deux conditions au regard de la littérature scientifique.
Conditions pour une orbite stable
Pour qu’une orbite de type P ou de type S soit stable, elle ne doit pas être perturbée par les étoiles du système binaire. Les zones de stabilité de ces orbites sont illustrées par le schéma ci-dessous.
Pour une orbite de type P, la planète doit être éloignée des deux étoiles : la distance minimale doit, selon les calculs5, être égale à environ 2-3 fois celle qui sépare les deux étoiles. Mais la planète ne doit pas être trop loin non plus, sous peine d’être perturbée par la marée galactique ou par les autres étoiles.
Pour une orbite de type S, la planète doit être très proche de l’étoile primaire, autour de laquelle elle orbite, et ne pas être influencée par la gravité de l’étoile secondaire. Selon les calculs6, sa distance à l’étoile primaire doit être inférieure à environ un tiers de celle qui sépare les deux étoiles. Ces dernières ne doivent pas non plus être trop proches : si leur distance minimale est en-dessous de 10 unités astronomiques, la seconde étoile peut perturber les orbites des planètes7 (l’unité astronomique, ou UA, est la distance de la Terre au Soleil). Mais si les étoiles sont vraiment très éloignées (à plus de 1000 UA), alors, selon une étude8, les planètes sont condamnées : elles finiront par être balayées sous l’effet de la marée galactique.
La zone habitable des planètes à deux soleils
La zone habitable dépend de la luminosité de l’étoile, comme le montre la figure ci-dessous dans le cas d’un système à une seule étoile. Plus une étoile est lumineuse, plus la zone habitable est éloignée de celle-ci.
Pour calculer la zone habitable d’une étoile binaire, on doit aussi tenir compte de la contribution de la seconde étoile. Mais il ne suffit pas d’additionner les luminosités. Comme les deux étoiles bougent tout le temps l’une autour de l’autre, la planète reçoit un flux d’énergie variable selon sa position relative aux deux astres.
C’est particulièrement le cas pour les planètes de type S dont l’étoile secondaire est plus lumineuse que l’étoile hôte. La figure ci-dessous illustre les zones habitables (en vert) d’une étoile binaire, pour différentes positions orbitales. L’étoile secondaire, plus lumineuse se déplace sur l’ellipse. Lorsque les étoiles sont au point le plus proche (le plus éloigné), une planète recevra plus (moins) de chaleur de ces dernières. La forme des zones habitables change alors selon la position relative des deux étoiles.
Kaltenegger et Haghighipour (2013) ont tenu compte de ce fait pour calculer les zones habitables de planètes de type S 9 et de type P 10 découvertes à ce jour. La vidéo ci-dessous, créée par Dr. Tobias Müller, illustre leur résultat pour le système de Kepler 16b, Kepler 16. Admirez la zone habitable qui change de forme selon la position de l’étoile secondaire (sur l’ellipse). Vous pouvez voir des vidéos d’autres planètes de type P sur le site http://astro.twam.info/hz-ptype/.
Des planètes à deux soleils habitables : pas que de la science-fiction?
Kepler 16b se trouve à 0.7 UA de ses deux soleils. Selon les calculs les plus récents (en vert foncé dans les deux figures ci-dessus), elle est en dehors de la zone habitable. En fait, aucune des exoplanètes découvertes dans les étoiles binaires ne se trouve dans la zone habitable.
Cependant, il peut exister une planète dans une étoile binaire qui répond à ces deux conditions. Des calculs récents montrent que près de la moitié des étoiles binaires aux alentours de notre soleil représente des candidates idéales pour de telles planètes11. Selon Raymond et Haghighipour (2007)12, une planète de type S avec une orbite stable dans la zone habitable peut en plus être une planète de type « Terre » qui contient de l’eau. C’est peut-être aussi le cas pour les planètes de type P.
En conclusion, détecter une planète à deux soleils habitable n’est plus qu’une question de temps. En attendant, rien ne nous empêche de nous plonger dans la science-fiction pour imaginer des mondes similaires. Un petit voyage vers Tatooine ou Helliconia? Ce sera l’objet d’un futur billet.
Notes et références :
1. Doyle, Carter et al. 2011, Kepler-16: A Transiting Circumbinary Planet, Science, Vol. 333 no. 6049 pp. 1602-1606. ↑
2. En 2013, sept planètes de type P on été cataloguées10. Ces planètes sont Kepler 16b, Kepler 34b and Kepler 35b, Kepler 38b, Kepler 47b et Kepler 47c, et Kepler 64b. ↑
3. Roell et al. 2003, Extrasolar planets in stellar multiple systems, Astronomy & Astrophysics, Volume 542, 10 pp. ↑
4. Hatzes et al. 2003, A Planetary Companion to γ Cephei A, Astrophys. J., 599, 1383. ↑
5. Dvorak, 1984, Numerical Experiments on Planetary Orbits in Double Stars, Celest. Mech., 34, 369. ↑
6. Par exemple, Benest, 1996. Planetary orbits in the elliptic restricted problem. III. The η Coronae Borealis system. Astronomy and Astrophysics, 314 :983–988. ↑
7. Quintana and Lissauer, 2007. Terrestrial Planet Formation in Binary Star Systems. The Astrophysical Journal Volume 660 Number 1, 807. ↑
8. Kaib et al., 2013. Planetary system disruption by Galactic perturbations to wide binary stars. Nature 493, 381–384, ou voir le compte-rendu en français de cet article. ↑
9. Kaltenegger and Haghighipour, 2013. Calculating the Habitable Zone of Binary Star Systems I: S-Type Binaries. ArXiv Preprint arXiv:1306.2889v4 [astro-ph.EP].↑
10.Haghighipour and Kaltenegger, 2013. Calculating the Habitable Zone of Binary Star Systems II: P-Type Binaries. ArXiv Preprint arXiv:1306.2890v2 [astro-ph.EP]. ↑
11. Jaime et al., 2014. Habitable Zones with Stable Orbits for Planets around Binary Systems. Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 443, Issue 1, p.260-274.↑
12. Haghighipour and Raymond, 2007. Habitable Planet Formation in Binary Planetary Systems. Astrophysical Journal, 666 :436–446.↑
Ping :Y-a-t'il des planètes à deux sole...
Ce serait vraiment cool si quelqu’un faisait un gif animé pour illustrer les orbites de Tatooine ou Helliconia !
Ce serait génial. Mais pour moi, ce ne sera pas pour tout de suite (j’avoue, à ma grande honte, que je n’ai jamais fait de gif animé 😐 ).